Je respirais profondément.
Puis barrais mon visage d'un énorme sourire.
La fête foraine.. Cela faisait tellement de temps, tellement de temps que je n'avais pas eu l'occasion d'y retourner. Parce qu'Il n'aimait pas cela, et je ne pouvais que me plier à Ses envies.
Tant d'animations et d'odeurs oubliées me faisaient tourner la tête, je venais même à penser que ce n'était pas si mal d'avoir « fugué » du pensionnat. J'avançai d'un pas timide, puis un autre plus assuré. Un stand de tir coincé entre deux attractions attira mon attention, j'y sautillai, au air ravi éclairant mon visage.
J'avais toujours été très habile à ce jeu.

« Ai wo sagashi detei bousoro hikari ha.. » Fredonnais-je un peu plus tard tout en léchant une pomme d'amour achetée quelques secondes plus tôt.

Je lançai un coup d'œil à Poo, la ravissante -et encombrante- peluche que j'avais gagnée, un tigre blanc qui devait faire au moins trois fois ma taille. La situation devait paraître sûrement comique vue de l'extérieur. Un petit gamin haut comme trois pommes tentant désespérément de trainer un gigantesque peluche derrière lui en essayant de ne pas la salir, cela ne se voyait pas tous les jours. Mais depuis quand me souciais-je du regard des gens, après tout ? Plus depuis qu'Il n'était plus là, c'était déjà certain. Je ressentis un petit pincement au cœur en pensant à la réaction qu'Il aurait eu en me voyant ainsi. Il aimait que je sois mignon et m'aurait déjà entrainé dans un coin pour embrasser mes lèvres délicates et un peu bombées, si douces d'après Lui, peut-être glisser une main sous ma chemise violette, défaire quelques boutons, caresser du regard mes courbes enfantines...
Je piquais brusquement un fard en m'arrêtant de marcher. J'avais tant mis d'ardeur pour L'oublier, oublier Ses yeux bleu clair dans lesquels j'avais l'impression de me noyer, Ses gestes attendris et apaisants, Sa bouche sensuelle qui semblait me supplier de l'embrasser, oublier cette nuit.. Mais comment aurais-je pu oser prétendre gommer Son sourire qui avait ensoleillé ma vie durant plus de dix ans ? Comment passer sous silence nos querelles incessantes puis nos réconciliations presque immédiates ? Nos rires, mes larmes, nos doigts constamment entremêlés ?
Je soupirai, rougissant comme une tomate cerise, puis me remis à parcourir la rue en m'extasiant sur tous les stands que je voyais afin de chasser cette nostalgie qui s'emparait de moi depuis deux ou trois jours, du moins pour quelques instants.

« Poo, t'es lourd ! », Ronchonnais-je tout de même après deux minutes de tirage intensif.

J'abandonnai l'idée de rentrer au pensionnat tout de suite, ma peluche était bien trop lourde pour mes faibles et chétifs bras. La musique m'entourant se fit bien plus tentante, et je me surpris à me trémousser en suivant la mélodie. J'observais tout autour de moi, curieux comme toujours.

Après tout, si je le désirais, je pourrais Le chasser de mes pensées.. Peut-être..

Je croisais les bras, rageur. Pourquoi étais-je si faible physiquement ?
Une irrésistible envie de sauter sur ma peluche pour la frapper de toutes mes forces me prit à la gorge, et je fronçai les sourcils en signe de mécontentement. Il faudrait que j'apprenne à canaliser mes brusques autant qu'éphémères élans de colère. Je notai cela dans un coin de ma tête, foudroyant Poo du regard.

« Hm... Tu veux un coup de main ? »

Je sursautai et me retournai prestement. Devant moi, un jeune homme. Brun, grand, sublime. Je penchai la tête sur le côté, ne songeant pas tout de suite à répondre.

« Tes yeux.. » Soufflai-je d'étonnement.

Je m'approchai.
Pourquoi ? Pourquoi ses yeux me semblaient-ils aussi fascinants ? J'avais l'impression que j'aurais pu tout faire pour y raviver une flamme, une seule petite étincelle, même la lueur la plus infime. Ce sentiment ne m'était plus arrivé depuis longtemps.. Comme si un étau enserrait mon cœur, le comprimait avec force, pour ensuite disparaitre et laisser place au néant le plus total. Oui voilà, c'est ça.. Je suis plein de néant..

« Satsuki ! Oh, Satsuki, c'est vraiment toi ?! »

Je me haussai sur la pointe des pieds et posai une main délicate sur sa joue, la caressant doucement. Je fermai les yeux, pour les réouvrir presque aussitôt et plonger mon regard azur dans le sien. Était-ce simplement une illusion ? La réalité avait-elle donc le goût d'une douce et mélancolique douleur ? Comme s'Il me suivait encore ! Comme s'Il pouvait être là ! Là, tout près de moi..

Une exquise odeur de noix de coco mélangée à un autre arôme indescriptible, fragrance enivrante, me faisait tourner la tête, annihilait mes sens et accélérait mon rythme cardiaque. Je humai profondément ce parfum, étourdi par toutes les sensations jusqu'alors insoupçonnées qu'il faisait naître en moi. Sa peau semblable à du satin me donnait envie de la caresser, encore et encore, j'avais l'impression que je ne me lasserai jamais de cette incroyable délicatesse.
Je pouvais entendre la moindre de ses respirations, à présent, même si mon cœur tambourinait avec force contre ma cage thoracique. Je voulais goûter cette peau, sentir sa saveur sur ma langue, me délecter de ce qui ne pourrait jamais m'appartenir.. Je collai chastement mes lèvres sur les siennes.